dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

26 ¦ 09 ¦ 2020
Habitat intercalaire

L'Art vu par les résident·e·s de l’Odylus, discussion croisée

26 ¦ 09 ¦ 2020 · Habitat intercalaire La maison, ce chantier en continu
En questionnement L’adaptabilité de la mission d’Horizome et les conflits que la mission a pu générer chez les résident·e·s
Illustration Maud, designeuse graphique en résidence, réalisant le portrait d’Hocine, résident de l’Odylus – 9 juillet 2020
Auteur·e·s Paul, membre d’Horizome, présent à l’Odylus d’avril 2020 à octobre 2020 · Thomas, membre d'Horizome, référent concierge du projet Odylus d'avril 2019 à octobre 2020 · Jérôme, Hocine, A., H. et Yann, résident·e·s de l’Odylus

↘ Afin de transmettre la parole des habitant·e·s de l’Odylus, et de tenter de comprendre leur quotidien et les problématiques auxquelles iels étaient confronté·e·s, des temps de discussions collectives (organisés ou informels) ont été enregistrés avec l’accord des résident·e·s. Ces conversations (avec les résident·e·s, les artistes et les membres des équipes associatives) furent l’occasion d'échanger les points de vue autour de la vie du lieu et de son fonctionnement. Des questions relatives à différents thèmes (le logement temporaire, la cohabitation, le rôle des équipes associatives, les résidences d’artistes…) étaient inscrites sur des cartes qu’il fallait piocher, ce qui permettait d’ouvrir et d’alimenter le dialogue. ↙

L’impact des artistes dans le quotidien des résident·e·s

Paul (Horizome) Est-ce que ça apporte quelque chose dans votre quotidien le fait qu’il y ait des artistes qui passent de temps en temps ? Jérôme (résident) Bah ouais, ouais. Ça évite l’ennui en fait. Paul Ouais… Thomas (Horizome) Ça évite l’ennui. Jérôme Ouais, bah ouais, grave. Parce que rester enfermé toute la journée dans sa piaule… Après quand t’as pas trop de trucs à faire, bah voilà. Là au moins ça met de l’animation tu vois. Thomas Mais tu vois ça de manière anodine ou tu penses que ça peut… Quand tu dis l’ennui… Jérôme Bah y’a toutes sortes d’ennui en fait. Des fois t’as envie de prendre une demi-heure, voilà tu vas faire un tour, tu sais que y’a quelqu’un avec qui discuter tu vois ? Hocine (résident) Ouais mais… Pardon j’te coupe ! Ça n’existe pas Thomas un artiste qui peut combler tous les ennuis, tous les vides. Thomas Bien sûr. Hocine C’est pour ça, qu’ça soit Cynthia ou autre, chacun… Chacun, même toi Thomas ! T’es pas artiste ou quoi mais t’es quand même ouais t’es plus qu’un artiste, mais t’es connu plus qu’un artiste ici voilà c’est c’que j’veux dire. Paul Justement, c’est ça un peu la question parce que y’a des gens par exemple, le Noun, celui qui faisait les biches et tout ça là… Jérôme Bah c’est d’eux qu’il parlait tout à l’heure pour le vélo. Paul Et bah eux pour le coup ils avaient plus le profil « artiste » que Cynthia qui est plus dans le social, qui va beaucoup parler et tout ça. Et j’pense que la vraie question qu’on se posait nous c’est : ceux qui remplissent on va dire leur « mission d’artiste », par exemple Marion pour les photos tout ça… Hocine Elle était cool. Paul Est-ce que votre point de vue sur ces gens-là qui… Tu vois y’a une distinction parce que Cynthia de base elle est résidente ici, mais maintenant elle vient parce qu’elle attachée au lieu et aux gens qui sont ici du coup elle vient pour discuter aussi, genre amicalement en fait. Jérôme Ouais. Hocine Non, elle vient rattraper on dirait ce qu’elle a… Parce qu’elle me le disait par sms ! Elle me le disait. Bah la preuve elle est restée jusqu’à six heures du matin, pour te dire à quel point elle était déterminée. Thomas Non mais… [rires] Hocine Ça fait rire mais… Paul Mais tu vois là c’était en dehors de sa pratique d’artiste. Jérôme C’était plus du côté amical en fait. Paul C’est ça. Thomas Du coup justement l’idée c’était de forcément se concentrer sur Cynthia, mais voilà les premières résidences Marion et le Noun… Hocine Marion elle l’a fait complètement. Elle a fait un vrai truc. Thomas Est-ce que tu arriverais à mettre des mots sur ça ? Sur ce qui t’a fait plaisir là-dedans ou ce que t’en as retiré ? Hocine Mais y’a pas que elle aussi. Y’a… Même Seb, Seb j’ai bien apprécié aussi. Thomas Mais au niveau relationnel alors ? Hocine Au niveau relationnel. Thomas Plus qu’au niveau du travail… Hocine Tout. A. (résidente) Mais l’artiste, quand on dit « artiste », son rôle c’est quoi ? Paul C’est de proposer des loisirs, des activités et de l’animation ici. Par exemple, les filles, Léonie et Julie, qui cuisinaient… A. Oui, la cuisine. Paul Elles étaient là en tant qu’artistes. A. Elles aussi c’étaient des artistes ? Paul Ouais, elles sont artistes de formation et à côté de ça elles aiment la cuisine et du coup, la cuisine comme art culinaire c’est plus ouvert au partage que par exemple un peintre qui viendrait ici faire des toiles, tu vois ? Des peintures, tout ça. Et justement, Julie, Léonie, Marion, le Noun, qu’est-ce que ça vous a apporté ? Bon après vous l’avez déjà un peu dit, de l’animation, etc, mais est-ce que y’a quelque chose en plus à dire que ça a animé ? Est-ce que ça vous apporté d’autres choses un peu plus profondes ou pas, ou je sais pas… Jérôme De divers horizons en fait, parce si on met tout ensemble ça ferait un truc hétéroclite en fait. Chacun a sa particularité, a son propre sens de l’artistique en fait donc ça permet d’ouvrir un petit peu son esprit, de voir des choses qu’on verrait pas autrement en fait. Paul Ok. Jérôme C’est comme quand par exemple tu vas au théâtre. Soit tu choisis une tragédie, soit d’une choisis une comédie, soit tu choisis du contemporain, soit tu… Mais en fait t’as un grand nombre de choix et voilà. Paul Donc toi t’as trouvé ça cool d’avoir des intervenants de divers horizons qui ont une pratique artistique variable. Jérôme Ouais grave. Thomas Et alors, avec lesquels tu as le plus accroché ? On pourrait demander, quel type de pratique ou de domaine t’attire le plus quoi… Jérôme Tout en fait, moi j’ai bien aimé. Sauf quand on a fait la cuisine. (rires) Thomas Les ateliers cuisine t’as… Jérôme Non non ! J’parle quand on a remonté la cuisine. Thomas Ah ! Les travaux ? Jérôme Ouais. Bah c’est la partie un peu plus chiante en fait… Mais après ça a permis de lancer sur un truc cool quoi. Paul C’était inévitable les travaux ouais, pour que ce soit un peu sympa. Jérôme Ouais de toute façon c’était obligatoire. Thomas Toi t’as pas de préférence entre les différents… Jérôme Non. Les ateliers cuisines j’ai bien aimés. → transcription de la discussion collective du 13 août 2020

Thomas (Horizome) Et la partie…artistique on va dire, comment tu la ressens ? Est-ce que ce qui… 'Fin est-ce qu'il y a un truc, un souvenir ou quelque chose dans la pratique artistique qui…qui t'a marqué ? Est-ce que tu penses que c'est peut-être superflu ? Est-ce que tu penses que le principal c'est quoi ? Est-ce que c'est le fait d'avoir des locaux à partager, d'organiser des repas ou est-ce qu'il y a autre chose qui…? H. (résident) Non ça c'est bien en fait parce que moi j'ai une passion particulière en fait mais après tout ce que vous faites c'est bien. Tout ce qui est organiser des repas, jouer un petit peu, faire un petit peu des jeux de société des choses comme ça…et avec les enfants et tout ça c'est… Thomas C'est plus les aspects de la vie quotidienne qui…qui…qui t'attirent quoi et donc…et…les activités. Bon après ça fait pas si longtemps que vous êtes là donc vous avez pas vu beaucoup d'artistes différents… H. Ouais tout à fait parce qu'on est tombé sur une mauvaise période aussi avec le confinement et puis… ouais. Thomas Ouais mais là je ne sais pas avec Cynthia, Flora, Maud ou Cécilia est-ce que vous avez eu un peu des échanges ? J'sais pas si tu as déjà fait un truc avec Cynthia euh…? H. Oui on a fait des choses oui. Thomas C'était quoi ? H. C'était euh, les euh…les pierres. Thomas Les pierres ? Graver les pierres ? H. Oui, graver des pierres, des choses comme ça. Thomas On se demandait : est-ce que la présence des artistes elle apporte quelque chose dans votre quotidien ou pas ? H. Bah en fait le fait de voir des choses qui se passent autour, le fait juste de rester et de voir, c'est, c'est… Ça nous fait oublier les soucis en fait. [rires]

Thomas Ce n'est pas forcément le fait de participer à chaque fois mais le fait de… H. Voilà, le fait de voilà de voir du monde… Paul (Horizome) De voir qu'il y a de la vie quoi ? H. Tout à fait. Oui tout à fait. Thomas Ça c'est… T'es pas le premier à nous dire ça. Je trouve ça marrant de dire que parfois ouais c'est juste la présence une forme de présence qui fait que… H. Oui voilà c'est juste la présence, le fait de voir des activités se faire autour ça c'est bien. Paul Savoir qu'il y a des choses qui se passent quoi… H. Oui. → transcription de l'entretien du 5 août 2020

Des ateliers «artistiques», vraiment ?

Yann (résident) J’suis interrogatif parce que ça fait quand même plusieurs mois. Au niveau artistique j’ai vu peu de choses, moi qui suis vitrier d’art de métier. Je trouvais qu’ils avaient un impact évidemment social et médiateur entre le lieu de vie et eux-mêmes. Mais au niveau artistique c’est pas compliqué : j’ai juste un petit portrait qui a été dessiné par une vraie artiste, qui a fait une démarche artistique mais, pour moi, l’art, c’est vraiment une démarche plastique. Que ce soit la personne qui interpelle, que ce soit l’artiste, le comique ou le gars qui va faire du théâtre j’veux dire une démarche «artistique» c’est-à-dire que ce soit l’acteur, que ce soit un dessin. Et je trouve que Horizome ont plus une démarche culturelle, sociale. Ils ont plus fait un lien au niveau de la vie au quotidien que de l’art.

Paul C’est tout ça. Déjà le fait de dire «artistique» c’est un peu élitiste et c’est pour ça qu’Horizome l’entendait comme «artisanats et créations» donc j’pense qu’il faut pas retenir «artistique». C’est pour ça qu’effectivement y’a pas eu de vraie proposition artistique parce que si on ramène un peintre ici, il a pas sa place. Yann C’est ce que je disais, moi niveau artistique j’ai juste un petit portrait. Après, au niveau quotidien, au niveau relationnel, Thomas (membre d’Horizome, référent concierge de l’Odylus) c’est quelqu’un qui…voilà… Paul C’est un lien... C’est un lien social. Il est nécessaire en fait pour engager les gens sur des ateliers. Yann Mais j’veux dire que R. le fait, M. le fait, tous les intervenants de l’Étage font ce même travail. Après tu peux avoir des affinités plus ou moins différentes avec Thomas, machin… Le contexte est différent mais j’veux dire, pour moi, l’intervention et le taff, des uns et des autres, à ce niveau-là c’est le même. C’est ce que je te disais, en tant que vitrier d’art, moi qui ai une formation artistique, j’ai eu très peu de rencontres artistiques avec Horizome. Et c’est dommage, c’est dommage...

Paul C’est dommage. Toi ça t’aurait plu d’avoir des peintres, des plasticiens, des designers ? Yann Mais certaines personnes y sont très bien arrivées ! On a vu tous les portraits qui ont été faits, qui ont une démarche en termes de compétences artistiques basiques, j’veux dire. Même si c’est pas innocent. Je pense aussi qu’Horizome est un peu prétentieux par rapport à ça, c’est-à-dire, pour pouvoir transmettre ça. Moi qui ai fait de la vitrerie d’art, qui ai eu à faire à des maîtres vitriers, c’est quelque chose. Y’a qu’un ancien qui peut te transmettre ça. Y’a que quelqu’un qui a un savoir. Et aujourd’hui, Horizome, moi de ce que j’ai vu… J’ai rencontré une personne la semaine dernière qui est intervenu au niveau du théâtre. On voyait qu’il y avait une maîtrise, c’est quelqu’un qui a plus de cinquante ans, tu vois ? J’le connais pas, mais tu vois qu’il y a une maîtrise. Et l’art, il faut des années et des années pour pouvoir transmettre et enseigner. Ça me semble peut-être un peu prétentieux. Paul Là, ce qu’elle fait Cynthia (artiste en résidence d’avril à octobre 2020)... Elle aide M. (résident) à remplir un document. C’est justement que souvent, les gens se saisissent des intervenants d’Horizome comme Madame S. qui est allée voir G. pour faire des trucs, tu vois. Ou encore Mme M., qui m’a demandé de l’aide pour se servir de sa tablette, etc… Yann Je trouve qu’ils cherchent plutôt ce que tu leur transmets, ce que tu leur donnes. Ils cherchent ce que la personne peut apporter. Tu vois ce que tu peux demander à quelqu’un ou pas. Y’a des personnes tu peux leur demander ça, d’autres… C’est pour ça que je disais qu’il est important d’avoir des gens qui ont de l’expérience, qui ont de la bouteille. → transcription de l'entretien du 11 août 2020

Le cadre qu’apporte Horizome, une vie sociale pour les résident·e·s

Yann (résident) C’est le regard que j’ai eu par rapport à ici quoi. J’me dis « Yann », ma famille est pas là, machin, tu vois. J’me disais « Mais Yann, c’est quoi le problème ? ». Le problème c’est le fait de venir ici, de discuter, c’est ça qui créé des tensions. Mais d’un autre côté je ne peux pas me passer de ça. J’ai pas de vie sociale. J’ai aucune vie sociale, j’ai pas de femme, je vis tout seul, j’ai pas ma famille, j’ai rien. La seule vie sociale que j’ai c’est la discussion que j’ai avec toi ou les choses comme ça. Ou d’autres, à d’autres endroits. J’veux dire, c’est essentiel ça. H. (résident) Et Horizome joue un petit peu ce rôle-là en fait. Nous, s’ils font pas vraiment des choses artistiques et vraiment professionnelles… Le fait de se faire écouter un petit peu. Paul il est là, il est tranquille, il nous écoute, ça nous fait du bien ! Sinon, j’vais aller où ?

Paul (Horizome) Qu’on vous prête attention, qu’on échange quoi ? H. Y’a ça. Le grand plus c’est ça. Yann Que vous soyez là. H. Si vous n’étiez pas là, j’parlerai avec Hocine, ou Jérôme. Yann Et même on s’parlerait pas ! S’ils n‘étaient pas là. On s’parle pas entre résidents. Déjà par définition. H. C’est des personnes en difficulté, nous sommes tous en difficulté en fait, donc chacun a ses problèmes et chacun a besoin de se faire écouter. Un résident qui est en difficulté ne va pas écouter un autre qui rame.

→ transcription de l'entretien du 11 août 2020